LE BAISER DE LA CIGOGNE
REVUE GALAXIES
N°54 - 2018
Critique de Pierre Stolze
Entre Dali et Vian. Sans oublier ni Loys Masson ni Méliès.
J’avais beaucoup apprécié le premier ouvrage d’Hélène Laly, un recueil de nouvelles paru en 2014 aux éditions Lacour, collection Imaginaire, et intitulé Si Einstein était une fille. Voici que paraît son deuxième opus, chez iPagination éditions, Le Baiser de la Cigogne, un roman fantastique, aussi déstabilisant que hors norme.
Après la mort de son grand-père Yaël et des années d’errance pour échapper à l’orphelinat, Sunny Herling (22 ans) est recrutée, par petites annonces (elle est la seule à y avoir répondu), par le richissime et mystérieux Idrisss Gallander (68 ans), dernier descendant par sa mère des marquis Wollekenstein qui habitaient Tübingen. Ce Gallanger vit dans une immense villa isolée, baptisée « Blue
Morning Glories ». Le travail de Sunny ? Classer des milliers de livres, de toutes époques et toutes origines, traitant de ce qui a trait aux défauts physiques et à la manière de les corriger (afin de créer un homme parfait ? voire immortel ?), et cela en partant d’un ouvrage (perdu ?) de Suétone sur la question (oui, Suétone, l’auteur de La Vie des Douze Césars). Et il faut retrouver dans l’un de ces innombrables ouvrages une formule secrète, très embrouillée, faite de lettres hiératiques, coptes, grecques ou que sais-je encore.
Ils sont tellement étranges et singuliers, les autres pensionnaires de la villa ! Voici l’intendante Purple, aussi laide que revêche, et l’intendant Cormac Spencer KloK, aussi amical qu’élégant, mais Purple et Spencer, partageant un même emploi, ne s’entendent guère ; voici les jumeaux Anja (une fille plutôt sage) et Erno (un garçon tout fou), pas plus de 60 centimètres de haut chacun, bourrés de déformations physiques curieuses, et autrefois déposés dans un berceau devant le portail de la villa. Voici les chiens Zafar et Indra, très copains avec les jumeaux, et on apprendra à la page... 149 qu’ils peuvent parler. Voici Bombo, un chat chasseur de jeunes oiseaux, teigneux, pisseur à tout va et qui fait saigner les arbres du jardin. Voici surtout des contingents des fleurs- femmes : elles possèdent certes une tige et des pétales, mais aussi un œil, une bouche, une poitrine (parfois « plantureuse »), des ailes (quatre, deux devant, deux derrière) et elles peuvent se déplacer, participer à des travaux (mettre la table, ranger des livres, aide précieuse pour Sunny Herling, la jeune recrue). Il y a les fleurs-filles (ou Lilydoll), les fleurs-mères (dont la troublante Dôll, leur directrice) et des Toggle, plus frêles encore que les fleurs-filles, mais qui en se réunissant, peuvent vous transporter en un radeau aérien jusqu’aux étoiles. Les étoiles ? Parlons-en ! Elles ont souvent des têtes de bouc (page 68), et Bérénice remet sans cesse une Chevelure... postiche (d’ailleurs Bérénice a la fesse plate, ce que tout le monde soupçonnait).
La petite ville près du manoir d’Idriss Gallander ? Peu d’intérêt. Mais il y a un hangar où des globes oculaires, surpris, peuvent vous attaquer ; il y a une scierie abandonnée, où vit un certain Cédric, qui, vous emmenant dans la haute mer toute proche, peut vous faire rencontrer d’autres créatures aussi étonnantes que dangereuses. D’ailleurs, Idriss Gallanger ne veut pas entendre parler de mer ou de poissons.
Parmi les créatures les plus extravagantes du roman : Hopax (« une créature qui n’existe qu’en un seul exemplaire », comme un hopax, un mot qui ne se rencontre qu’une seule fois dans un corpus donné, ainsi dans la littérature grecque ancienne. Quoique... le véritable terme est hapax, pas hopax ! Petite erreur de l’auteure... ?) Donc Hopax est mi-fleur, mi-poisson, elle est télépathe, nyctalope, possède une mémoire absolue (« eidétique »), est capable de remonter le temps, de se nanocristalliser ou de se « départiculariser »14 pour se dissoudre entièrement dans la lumière ou passer par une minuscule serrure de porte. Et avec tous ces pouvoirs, elle n’a jamais voulu être maîtresse du monde ? Ah ! Inconséquence féminine15 ! Mais c’est elle qui apprendra à Sunny dans quel livre se trouve la formule secrète tant recherchée. Et puis et surtout, c’est elle qui est capable de jouer au saxophone et à la perfection le « divertimento six de Weinzweig ». Quand il retentit (ah ! ce solo « puissant, sexué, mâle et dominant », page 119) : tous aux abris !
Ajoutons encore que le nain Erno, féru de jardinage, va faire germer et croître des filles-fleurs inédites, qui, pour ne pas être importunées, voire détruites par l’infâme intendante Purple, seront enfermées à l’intérieur de la carapace d’acier d’insectes gigantesques. Comme ceux imaginés, réellement, par le plasticien Patrice Pit Hubert (avec une photo en illustration de première de couverture).
Là je n’ai fait que dégrossir l’arrière-plan, le back-ground déconcertant d’un roman foisonnant. Surtout, le monde du Baiser de la Cigogne est à peine décalé du nôtre : sont cités Robin des Bois, Prince Vaillant, Jeeves, le célèbre (?) valet du romancier américain Wodehouse, Rita Hayworth, Marilyn Monroe, les contes d’Andersen, Arsène Lupin, Shakespeare, Goethe, La Fontaine, Marco Polo, Huxley, Néron et Tamerlan, Napoléon, Hitler et Pinochet, et j’en passe...
Caractériser l’ensemble ? Difficile. Seul me vient le terme de « surréalisant » : des scènes auraient pu être peintes par Dali, et on pense souvent aux romans de Vian (L’Écume des Jours, L’Arrache-Coeur, L’Herbe rouge...) ou, mieux, à L’Illustre Thomas Wilson de Loys Masson (1967), qui fut longtemps mon livre de chevet (et souvent j’en relis quelques pages avec délectation). L’éditeur a qualifié ce roman de « fantastique » : il fallait bien trouver un adjectif...
Des bémols, cependant (il en faut bien) : luxuriante aussi est l’écriture d’Hélène Laly. On a l’impression qu’elle en fait trop : dans le mot rare (« zygodactyle, superactinide, gravitropique, gyrostatique, cyphose, flatterzunge, bastaing, polymathe, sclère, pandero, bigaradier », etc.), dans la métaphore inattendue et déconcertante (« Ses ailes inférieures vibrèrent commeunvold’oiessauvagessurdescordesdesatin»,p.67; «untroupeau de nuages frileux qui se pelotonnaient coude à coude, semblables à une poignée de vieilles sous un abribus », p. 68 ; « Pointés en l’air, ses pouces frétillèrent comme des saucisses plongées dans l’eau bouillante », p. 113 ; « [elle] prenait des mines papelardes de ministres du culte fréquentant le Saint- Siège p. 231 ; etc.), dans les références multiples (littéraires ou mythologiques), souvent obscures. Vous connaissiez la secte des Séthiens ou les déesses romaines Angeroma et Accia Larentia (p. 166) ? Allez voir sur Wikipédia ! Moi-même, j’ai dû relire certains passages deux fois pour bien comprendre, ou tenter de voir, de me représenter certaines scènes... Quant aux citations en exergue de nombreux chapitres, citations souvent d’auteurs inconnus (sinon de leurs propres parents), elles risquent de faire cuistre... Un peu plus de simplicité n’aurait pas nui à l’ensemble. Et puis, il n’y a pas vraiment de suspense dans ce roman. On reste dans la chronique (certes savoureuse), saison par saison, d’une bien étrange villa, avec des scènes répétitives qui auraient pu être coupées (comme ces voyages dans la galaxie, voyages à la Méliès).
N’empêche ! Entrez dans ce foisonnement, noyez-vous dans ces pages étouffantes ! Et peut-être, au bout du bout, découvrez le(s) mystère(s) enfin dévoilé(s). La (les) solution(s) ultime(s) que la belle Sunny s’est promis de découvrir. Comme un double secret de famille avec morts violentes ! Sur fond de bataille finale entre super-héros et démons très démoniaques digne d’un blockbuster américain (oui, oui !)
Le Baiser de la Cigogne ? Pour ce qui est du titre métaphorique, il sera explicité très tôt. Sinon : voici un roman qui devrait retenir l’attention de tous les jurys des prix relevant de l’imaginaire.
(reproduction avec l'autorisation de l'auteur)
SI EINSTEIN ÉTAIT UNE FILLE
REVUE BIFROST
N°77 - janvier 2015
Critique de Pierre Stolze
Bien qu'Hélène Laly (titulaire d'une maîtrise de lettres restée longtemps à la tête d'une entreprise industrielle et familiale) fût déjà souvent récompensée pour ses nouvelles, poèmes ou haïkus, Si Einstein était une fille… est son premier opus publié.
Huit nouvelles dont les héros sont des héroïnes (à deux exceptions près). Souvent des gamines surdouées ayant le pouvoir de disparaître. Et certaines le font définitivement. Ainsi Candy-James, capable à dix mois de parler physique des particules et qui parvient ensuite à se " dé-particuler " (in La Physique des Particules). D'ailleurs tous les personnages prennent " peu à peu la consistance d'un fantôme " (p116), quand ils ne régressent pas, comme Ti 'Doill, 13 ans, qui redevient bébé dans les bras d'une statue représentant la Parque Atropos (In memoriam).
Les noms de lieux ou de personnages (Daisy Hope, Winter-Winter, Holly-Bird …) sont tous hautement improbables ce qui renforce l'étrangeté de chaque histoire.
Le thème le plus récurrent dans ses huit nouvelles souvent grinçantes, voire carrément noires, c'est celui de la maternité, mais de la maternité difficile, quand une mère refuse son bébé ou qu'une autre accouche de cinq monstres hideux et cannibales.
Bref, voici un ouvrage à lire autant qu'à psychanalyser. J'attends avec impatience un deuxième opus d'Hélène Laly
(reproduction avec l'autorisation de l'auteur)